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Gouverner les eaux depuis 1945 – Les mégabassines au prisme du gouvernement des technosciences

Gouverner les eaux depuis 1945 – Les mégabassines au prisme du gouvernement des technosciences

Gouverner les eaux depuis 1945 : Internationalisation et intensification des flux de capitaux, de techniques et de modèles

par Sara Fernandez (chapitre issu de l’ouvrage « Le Gouvernement des Technosciences »)

Ici je vous propose une synthèse, avec quelques extraits, pour retracer le fil de ce qui gouverne les eaux sur le temps long. J’espère que vous serez surpris !

Qui est l’autrice, Sara Fernandez?

Sara Fernandez est une chercheuse spécialisée en géographie sociale de l’eau. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences de l’eau d’AgroParisTech et ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts. Actuellement, elle est affiliée à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et membre de l’UMR « Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe » (SAGE) à l’Université de Strasbourg. Ses recherches portent sur la construction sociale et politique de la pénurie d’eau, ainsi que sur les instruments de gouvernance de l’eau. Elle a co-dirigé l’ouvrage « Idées reçues sur l’eau et sa gestion », publié en 2024.

Gouverner l’eau: la figure de l’expertise et marché mondial

Selon Sara Fernandez, « Gouverner l’eau, c’est produire un certain cadrage du problème, définir une certaine nature de l’eau et de notre rapport à elle. C’est rendre possible certaines pratiques et en empêcher d’autres, déployer des mécanismes de solidarité spécifiques, faire exister des échelles de gestion et des institutions multiples, et promouvoir des circuits financiers. Depuis 1945, l’eau a été l’objet de conflits d’intérêts entre les pays du Nord et les pays du Sud, entre les différents secteurs qui l’utilisent et, au sein même de ces secteurs, entre communautés d’irrigants, producteurs autonomes d’électricité et sociétés parapubliques ; elle a aussi été l’objet de conflits impliquant ceux qui dénoncent les dégâts parfois considérables provoqués.« 

Sara Fernandez note que, parallèlement à une gestion de l’eau qui est par nature « locale » (l’eau n’est jamais transportée), la question de l’eau va devenir, après 1945, un enjeu géopolitique international majeur, où les pays du Nord, et les pays du Sud, ne seront bien évidemment pas logés à la même enseigne…

La mise en place de techniques issues de l’hydraulique est jugée nécessaire, et indispensable partout. Son déploiement est permis par les pays du Nord et leurs ingénieurs – qui circulent d’agences en sociétés privées, de gouvernements en institutions. Cela pourra permettre cette « révolution verte », et d’apporter de l’eau à ceux qui ont soif. On parle de lutte contre la désertification, l’aridité. Les pénuries d’eau sont craintes et la peur du manque est alimentée. Le « marché de l’expertise » liée à des techniques et des modèles de gestion de l’eau se développe à l’international. Les ingénieurs circulent sont à pied d’oeuvre pour la réalisation d’ouvrages et la mise en place des systèmes de contrôle.

1945 – 1970 – Développement de la grande hydraulique d’Etat, ce cher Oncle Sam, et naissance de l’hydrologie

A l’issue de la seconde guerre mondiale, la tendance est au développement et au progrès. Il y a eu la récession des années 30, aussi.Bref, il ne faut pas contraindre le développement.

Au nord, la question de l’eau est tranchée: il s’agit d’un problème de contrôle et de régulations des variations hydrologiques. La solution? Construire des ouvrages hydrauliques d’envergure (barrages, etc), réunir les savoirs (recherche opérationnelle, hydrauliques, hydrotechniques) avec une conception quantitative et distributive de la ressource, et une politique volontariste d’aménagement territorial.

Jusqu’ici, je ne vois aucune différence entre 2025, et le récit que Sara Fernandez fait de la vision politique de la gestion de l’eau à l’ONU après 1945.

Les Etats du Nord vont se financer des ouvrages, regrouper les usagers en filières, gérer les relations et inventer le principe de la « concession » – qui est vu par certains usagers, depuis le départ, comme une appropriation de l’eau.

Les Etats-Unis ont joué un rôle particulier: en cherchant à transformer leur économie de guerre, et à développer de nouveaux marchés pour leurs produits, ils ont été être acteurs du déploiement du modèle de la grande hydraulique d’Etat. C’est un « plan Marshall de l’eau » qui est mis sur pied. Le modèle de gestion de l’eau de la TVA* ‘Tennessee Valley Authority » va être « exportée » mais détournée de sa philosophie initiale « grass-root » (ancrée dans la société), puisqu’imposée par les pays du Nord aux pays du Sud par les experts…

Note: * à l’origine la TVA est fondée par et pour la société civile, et prône un partage équitable de la ressource en eau associée à une gouvernance démocratique citoyenne locale. Elle encourage à dépasser les frontières administratives en se basant sur une gestion à l’échelle du bassin versant. La TVA permet l’optimisation de la ressource en eau pour des usages en compétition (production d’aluminium, production de nitrates, etc) et redynamise une vallée sinistrée par un déclin industriel entre deux guerres. La TVA a bénéficié d’un incroyable soutien populaire, grâce à l’électricité à bas coûts fournie aux ménages. Ses dirigeants seront accusés d’être des communistes…

Pendant ce temps, dans les pays du Sud, on craint l’explosion démographique. Les Nations Unis et l’aide publique au développement (APD) -mise en place depuis peu, vont s’attaquer à ce problème. Pour éviter de futures famines, il s’agit d’organiser mondialement le développement de l’agriculture, et l’amélioration de ses rendements…notamment via l’irrigation. Rien qu’une augmentation de population à elle seule ne permet d’envisager qu’une augmentation exponentielle de la demande sur la ressource en eau…

« Depuis 1945, c’est en particulier autour de l’eau que se sont joués des enjeux de contrôle de la production alimentaire et de développement des pays du Sud, rythmés par des phénomènes de politisation de l’eau à la faveur de conflits, puis de « dépolitisation technique » [Ferguson, 1990] »

Après 1945, la « Science » apparaît comme la plus légitime pour conseiller les pouvoirs publics en place sur la gestion de l’eau. Scientifiquement, le bassin versant est désigné comme échelle privilégiée de gestion. L’effort est mis sur la modélisation des phénomènes hydrologiques, et sur les aspects quantitatifs de la ressource en eau. La discipline de l’hydrologie est crée, afin de « rendre lisible et comptable » une ressource fluide qui ne l’est pas tant. On ne parle encore que d’hydrologie de surface. Les limites sont mouvantes entre la nouvelle science de l’hydrologie et l’ingénierie hydraulique : « les analyses hydrologiques accompagnant de plus en plus des projets de barrages ou de réseaux d’irrigation ». Les représentations du cycle de l’eau ont peu évolué depuis les années 30 : on naturalise une eau en surface « abondante » et on minimise les processus de circulation souterraine.

Dans les années 50, on assiste à l’accélération du déploiement centralisé d’aménagements hydrauliques pour le stockage, le transport et la distribution de l’eau à grande échelle. Les premiers arbitrages quant aux partages des usages de l’eau se font en faveur…des irrigants à l’aval et des productions d’hydroélectricité à l’amont des bassins versants.

Aux Etats-Unis, l’hydroélectricité finance l’irrigation. D’ailleurs, dans les zones d’implantation de la grande hydraulique, on promet aux riverains des avantages, comme une électricité moins chère, un accès aux produits agricoles à un coût négocié, notamment.Pendant ce temps les riverains voient leurs droits à l’eau – et les accès à leurs cours d’eau de proximité – contraints par les nouveaux ouvrages. Ont été tenté à cette période l’expansion de réseaux de transports d’eau: expansion stoppée à cause de son coût exorbitant.Les gouvernements créent des sociétés que Sara Fernandez désigne comme « parapubliques » pour la gestion « concessionnée » de ces ouvrages. C’est la création d’EDF et de la SAR. Le financement des ouvrages est toujours public, financé par l’Etat via l’impôt, ou via des prêts internationaux, subventions, ou autres programmes d’aides.

L’aridité est le premier cadre de gestion de l’eau qui s’impose internationalement. Le « programme sur les zones arides » débute en 1951, et se déroulera jusqu’à la fin des années 60. Le constat qui est fait est simple: les zones arides, voire semi-arides pourraient devenir fertiles et productives, à condition qu’on y développe les sciences et les techniques de la nouvelle industrie de l’eau. Car l’ensoleillement nécessaire aux cultures est déjà là, les températures aussi. Manque que l’eau.De nombreuses techniques seront envisagées pour la trouver : barrages, pluies artificiels par le contrôle des nuages, dessalement de l’eau de mer…

Selon l’analyse de Sara Fernandez, le mythe des politiques hydrauliques centralisées va être entretenu par un partenariat public/privé qui vise désormais non plus seulement à gouverner la ressource, mais aussi à gouverner les idées et les populations. Les ayant droits de l’eau sont en conflits avec les irrigants. Les remplissages des barrages pour l’hydroélectricité crispent les pêcheurs ou ceux qui prônent une vigilance sécuritaire anti-crues.

« Depuis leur conception jusqu’à leur construction et leur mise en service, les ouvrages et leurs fonctionnements sont continûment modelés par les efforts d’élus, de porte-paroles de l’agriculture, de l’électricité, de l’industrie du bâtiment et des ingénieurs eux-mêmes ».

(On peut comprendre comment la controverse sur la construction des mégabassines à Sainte-Soline est héritière d’un long continuum de résistances et de dynamiques entre ces mêmes rationalités.)

Dans les années 60, dans les Etats du Nord, les pollutions industrielles se multiplient : ces « débordements » menacent la santé et les écosystèmes. Le rôle joué par l’Etat a été de diminuer les coûts des contentieux et de faire appel à une nouvelle « industrie de l’eau » avec à l’appui des innovations autant dans les domaines de la chimie que dans celui de l’hydraulique. Il s’agit de décontaminer les eaux polluées; coût que l’Etat prend à sa charge.

La tendance de fond est d’échanger les savoirs hydrauliques contre du pétrole ou de la bauxite. On commence à gérer une planification de l’état des cours d’eau. Il faut normaliser les pratiques liées au progrès. Sara Fernandez l’écrit sans emphase ni volonté de polémiquer : promouvoir l’hydraulique revient à promouvoir l’intensification de l’agriculture.

L’APD n’est pas étrangère à cet état de fait, selon Sara Fernandez. Les pays du Sud sont à ce moment là orientés dans leurs productions agricoles vers « des cultures de rente telles que le sucre, l’huile, le cacao ou le café, censées permettre de produire les devises nécessaires au financement des importations de céréales. Mais l’agro-industrie occidentale contribuera ensuite à éroder la valeur de ces cultures de rente sur les marchés mondiaux en fabriquant des substituts et en les intégrant de plus en plus dans des produits transformés [Friedmann, 1993]. » etc. Les cultures céréalières proviennent…des Etats-Unis.

En parallèle s’ouvre en 1965 la décennie hydrologique internationale.

Sweet 70’s: révoltes de l’eau et remises en question

Mais dans les années 70, au Nord, le vent va tourner pour les experts et industries de l’eau.

Sara Fernandez nous fait remarquer : « entre 1970 et 1990, les critiques sociales et environnementales des effets de la croissance sur l’eau s’exacerbent : pollutions et risques sanitaires, mortalité piscicole, asymétries dans le partage de la ressource. » « Au Nord, pour gouverner ces critiques, les experts et ingénieurs se réinventent en ensembliers pour une « gestion intégrée des ressources en eau », qui promeut la « participation », la « valeur économique de l’eau » ou encore « la demande en eau des écosystèmes ». Elle revient pourtant le plus souvent à mieux protéger des rentes historiques sur l’eau ».

Dans les pays du Sud aussi, des manifestations sont réprimées. Les populations luttent pour leurs droits à l’eau, accaparée par des Etats aux élites pouvant être corrompus, et les dégradations environnementales sont déjà pointées du doigt, comme la salinisation,la sodisation, et le lessivage des sols.

Le Programme des Nations unies pour l’environnement ou PNUE est crée à l’issu de la première conférence mondiale dédiée à l’environnement organisée par l’ONU à Stockholm au mois de Juin 1972. Vont être mis sur la table la quantification des ressources en eau disponibles en opposition à une quantification des prélèvements, en s’appuyant sur des études prospectives.

1972, c’est aussi l’année pendant laquelle le club de Rome publie son premier rapport, The Limits to Growth connu en France sous le nom de « rapport Meadows ». Pourtant, réduire la pression sur l’eau, et consommer moins et différemment reste encore largement hors champ. La conférence de l’ONU de Mar del Plata, organisé en 1977, se donnera pour objectif de rendre l’irrigation plus efficace, et l’agriculture plus productive.

1980 – 2000 : Dépollutions, privatisations, …noyons le poisson?

Sara Fernandez met en évidence comme une ambivalence. La grande hydraulique, qui a été « vendue » par les pays du Nord aux pays du Sud, l’a été afin de promouvoir « l’autosuffisance des Etats », notamment alimentaire. Pourtant, dans le même temps, les exportations de céréales en provenance des Etats-Unis et de l’Europe vers les pays du Sud ont été multipliés par 20 entre les années 60 et les années 80.

Les années 80-90 vont voire des vagues successives de privatisations ou de gestion déléguée des ouvrages et la délégation des services se du public vers le privé se multiplie. En France, 65% des usagers sont servies en eau par un système de gestion déléguée. C’est un partenariat intéressant pour l’Etat, qui bénéficie de la trésorerie et des investissements du privé (qui promettent par exemple des rénovations, des optimisations, des extensions de réseaux) tout en « sous-traitant » au privé des réformes impopulaires, notamment tarifaires.

Le système agricole et alimentaire mondiale se renforce, la construction de barrages continue, soutenue par la Banque mondiale.

Autre nouveauté des années 80-90…qui a son importance quand on analyse la controverse sur les mégabassines: « l’irrigation individuelle par pompage à partir des eaux souterraines se développent considérablement et ce, dès les années 80, que ce soit grâce à des subventions sur le matériel et l’énergie ou le financement privé par les agriculteurs eux-même. »

La promotion des « bienfaits » de la délégation des services continue. Désormais, le privé gère tout en lieu et place de l’Etat, de la construction des ouvrages, de l’innovation technique, les travaux en passant par la gestion. Le recouvrement des coûts complets doit être assurée par la tarification de l’eau.

Sous pression, les Etats cherchent à garantir aux entreprises privés une diminution des risques liées à la gestion de l’eau. Ce sont toujours les Etats qui pratiqueront le « Big Push » : à savoir, organiser le financement public nécessaire là où les investissements sont peu attractifs pour le secteur privé. Là encore, Sara Fernandez met en évidence cette ambivalence casi « masochiste » des Etats : promouvoir le partenariat public/privé en en supportant à la fois et tous les risques et tous les coûts.

Depuis les années 2000 : entrons dans le développement durable (…ou pas?)

Le constat que fait Sara Fernandez est que les pénuries d’eau n’auront finalement pas été éradiquée par le développement de la grande hydraulique. Ces pénuries ont juste été gérées silencieusement par les relations commerciales internationales (cf importations céréales). Car la souveraineté alimentaire des pays du Sud dépend plus de ces prix bas que de leur capacité d’irrigation de leurs cultures de rente.

La libéralisation des échanges et la fluidification du commerce internationale apparaît donc comme un « mal nécessaire » pour préserver l’équilibre. Gouverner l’eau revient finalement à gouverner les prix bas des céréales sur les marchés mondiaux. Drôle de réalité!

Pendant que l’Inde, la Chine, la Corée du Sud ou encore le Brésil déploient une grande hydraulique centrale – en s’autofinançant – les acquisitions de terre et d’eau par la pression foncière sont nombreuses. La spéculation financière et les bons placements gouvernent… La globalisation des échanges agricoles s’intensifie. L’agriculture sous contrat se démocratise. Les industries agroalimentaires des pays du Nord vont se transformer, se réorganiser, et distribuer les risques notamment en intégrant la production des denrées alimentaires dans leurs activités. C’est une intégration verticale qui se généralise, associée à une délocalisation de l’agriculture. Les accords de concession agricoles créent des enclaves au droit commun sur l’eau.

Le forum mondial de la Haye, organisé en l’an 2000, voit advenir le 2ème Forum mondial de l’eau, à l’origine de nombreux débats sur la vision mondiale pour l’eau et le cadre pour action qui y est associé. Il s’agit de « réfléchir à satisfaire les besoins fondamentaux en eau, assurer l’approvisionnement en eau, protéger les écosystèmes, partager les ressources en eau, gérer les risques, évaluer le prix de l’eau et gérer l’eau de façon plus judicieuse. »

En 2000, aussi, la GIRE (gestion intégrée des ressources en eau) est crée et correspond à l’organisation internationale Integrated Water Resources Management (IWRM). Elle regroupe les experts hydrauliques d’hier, et réfléchit à appliquer les notions de développement durable – à la mode dans le débat public – à l’eau.

Pour Sara Fernandez, ce qui est apparu de prime abord comme une opportunité d’envisager une autre gestion de l’eau… va finalement se transformer en une opportunité de renforcement du pouvoir et de l’emprise sur l’eau des sociétés privés. L’industrie de l’eau se présentera comme apporteuse de solutions, de changements, et d’évolutions technologiques nécessaires à la gestion durable de l’eau. Les ONG en seront des partenaires. C’est un soft power mondial qui se diffuse dans les institutions: on ne pourra pas faire sans le privé.

Désormais, gouverner l’eau commence à ressembler à gouverner les critiques concernant les effets délétères des grands ouvrages et des réseaux d’irrigation, notamment concernant le partage de l’eau, la qualité des sols, les écosystèmes aquatiques et les autres formes de l’agriculture.

Conclusion …et aujourd’hui, en 2025 : mégabassines

L’eau n’est pas du pétrole, et pourtant… C’est une ressource qui semble si « rare » alors qu’elle est abondante (comme le pétrole?). La demande doit rester supérieure à la ressource en stock. Des économies entières dépendent de la disponibilité de la ressource. La pénurie d’eau est donc une construction autant sociale que politique. Même si l’eau n’est pas transportable, et que sa gestion ne peut être pensée qu’à une échelle locale, la circulation des rentes liées à l’eau, elle, est internationale, et passe par les rendements de l’agriculture et donc, les marchés mondiaux.

Depuis 1945, « les problèmes liés à l’eau ne sont pas fait que d’eau » : il y a une intensification des profits issus d’une eau utilisée localement.

Ce sont ces profits, et ce qu’on produit avec l’eau (type d’électricité, type de production agricole, produits industriels) et la façon dont on produit l’eau (les dispositifs techniques de mobilisation, de traitement, de disponibilisation qui sont dommageables pour l’environnement) qui sont aujourd’hui attaqués par les citoyens et militants écologistes de part le monde. On s’éloigne de la « positivité » et de l’élan durable des années 2000. Les ONGs vont devenir des adversaires…

Le premier rapport du GIEC date de 1990. La synthèse du sixième rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a été publiée en 2023. Le réchauffement climatique ne fait pas débat dans la communauté scientifique actuellement. Les contextes de sécheresse se multiplient. Les cours d’eau subissent des assecs plus importants.

Mais la concurrence agricole s’accentue dans le même temps, et donc, la pression sur la ressource en terme de prélèvement augmente en même temps que la ressource en eau se raréfie. Les agriculteurs mettent la pression sur les Etats, qui ne doivent pas se « désengager » : un appel à prolonger un soutien qui est, nous l’avons compris, assurée depuis longtemps.

J’espère que cette rapide « mise en perspective historique » vous aura permis de mieux comprendre ce qui se joue entre les rationalités liées aux enjeux de l’eau, et les déterminants du développement des expertises, de ses justifications, et de ses représentations.

La mégabassine pourrait être pensée comme le prolongement du barrage, comme le changement de paradigme d’une hydrologie de surface vers une hydrologie souterraine.

Qu’est-ce qui fait controverse, finalement, plus aujourd’hui qu’hier? Sûrement l’idéologie du progrès et d’une agriculture productiviste héritée de l’après guerre qui côtoie l’Anthropocène et la perspective de la 6ème extinction massive….

Ci-dessous, un petit récapitulatif de ce que je viens de vous exposer, grâce à notre ami Chat GPT:

1945-1970 : L’Ère de la Grande Hydraulique et de l’Intervention des États

  • 1945 : Après la Seconde Guerre mondiale, les États occidentaux intensifient la gestion centralisée de l’eau par de grands ouvrages hydrauliques (barrages, irrigation, hydroélectricité).
  • 1945-1960 : Exportation des modèles américains de gestion de l’eau via le plan Marshall et l’Aide publique au développement (APD).
  • Années 1950 :
    • Développement de la Tennessee Valley Authority (TVA) comme modèle international.
    • Début des grands projets d’aménagement de l’eau financés par la Banque mondiale.
    • L’Unesco lance un programme sur les zones arides pour favoriser le développement technologique et la gestion des ressources en eau dans les pays considérés comme arides.
  • Années 1960 :
    • Prise de conscience des pollutions industrielles et urbaines affectant les ressources en eau.
    • Premières régulations environnementales pour limiter les impacts des grands projets hydrauliques (ex. : reconnaissance du délit de pollution accidentelle en France en 1959).
    • Début de la contestation des grands barrages et des projets hydrauliques centralisés.

1970-1990 : Réactions aux Critiques et Transformation des Politiques de l’Eau

  • 1970 : Les États-Unis et l’Europe adoptent des politiques de dépollution des eaux en réponse aux contestations écologistes.
  • 1972 : Conférence des Nations unies sur l’environnement à Stockholm → émergence des questions environnementales dans la gestion de l’eau.
  • 1974-1978 : Études internationales sur les risques de pénurie d’eau et élaboration des premiers indicateurs hydriques (Malin Falkenmark et autres chercheurs).
  • 1977 : Conférence de Mar del Plata → adoption d’une stratégie globale pour l’accès universel à l’eau potable.
  • Années 1980 :
    • Développement du concept de « gestion intégrée des ressources en eau » (GIRE).
    • Premières politiques de privatisation des services d’eau sous l’impulsion de la Banque mondiale.
    • Intensification de l’irrigation et de l’industrialisation agricole dans les pays en développement.

1990-2005 : Privatisation et Mondialisation des Services de l’Eau

  • Années 1990 :
    • Privatisation massive des services d’eau potable, en particulier en Amérique latine et en Afrique (appuyée par la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement).
    • Émergence de multinationales françaises (Suez, Veolia) comme acteurs majeurs de la gestion de l’eau à l’échelle mondiale.
    • Conférence de Dublin sur l’eau (1992) → promotion de l’approche économique et marchande de l’eau.
  • 1996 : Création du Conseil mondial de l’eau (CME) → structuration d’un lobbying en faveur de la gestion privée et des partenariats public-privé (PPP).
  • 2000 : Forum mondial de l’eau à La Haye → officialisation de la « Vision mondiale de l’eau », qui promeut le financement des infrastructures par le secteur privé.
  • 2003 : Rapport Camdessus (soutenu par la Banque mondiale) visant à sécuriser les investissements privés dans le secteur de l’eau.

2005-2020 : Remise en Cause de la Privatisation et Nouveaux Enjeux

  • 2006 : Forum mondial de l’eau à Mexico → premier recul sur la privatisation ; émergence du concept de bonne gouvernance locale de l’eau.
  • 2008 : Crise alimentaire mondiale → augmentation des acquisitions massives de terres et d’eau par des pays émergents et des multinationales (ex. : investissements chinois en Afrique).
  • Années 2010 :
    • Remunicipalisation des services d’eau dans plusieurs grandes villes (Buenos Aires, Paris, Berlin).
    • Développement de la problématique de l’eau virtuelle (importations/exportations d’eau indirectes via les produits alimentaires).
    • Accroissement des tensions géopolitiques sur l’eau (ex. : barrage de la Renaissance en Éthiopie, conflit autour du Nil).

Tendances Actuelles

  • Retour du rôle des États dans la gestion de l’eau dans plusieurs pays émergents (Chine, Brésil, Inde).
  • Réduction des financements internationaux pour l’irrigation au profit de la mondialisation des échanges agricoles.
  • Crise climatique : augmentation des conflits sur l’eau et montée en puissance des politiques d’adaptation (ex. : dessalement, gestion de la demande en eau).
  • Nouveaux acteurs financiers : fonds d’investissement et multinationales s’intéressent de plus en plus aux infrastructures hydrauliques.

Comprendre les tendances générales en 5 points principaux

L’internationalisation de la gouvernance de l’eau
Depuis 1945, la gestion de l’eau a dépassé le cadre strictement national pour devenir un enjeu global, influencé par les politiques d’aide au développement, les institutions internationales et les marchés financiers. L’eau devient un levier de contrôle pour les grandes puissances (ex. États-Unis, Banque mondiale).

La domination des modèles technocratiques et économiques
Les décisions sur la gestion de l’eau ont longtemps été prises par des ingénieurs et techniciens suivant des logiques centralisées, avec une forte intervention de l’État. À partir des années 1990, la gestion de l’eau s’inscrit dans une logique néolibérale : privatisation des services, rentabilisation des infrastructures, émergence d’un marché de l’eau.

Les tensions entre environnement et développement
Si l’eau a d’abord été perçue comme une ressource à maîtriser (barrages, irrigation), les critiques environnementales émergent dès les années 1970, entraînant une opposition entre préservation des écosystèmes et exploitation économique. La « gestion intégrée des ressources en eau » tente de réconcilier ces enjeux, mais reste souvent instrumentalisée par les intérêts économiques.

Les crises de l’eau et leur politisation
L’eau est progressivement cadrée comme un problème de crises successives (sécheresses, pénuries, pollution, guerres de l’eau). Cette dramatisation sert souvent à légitimer des interventions techniques ou des réformes politiques favorisant les marchés globaux, la privatisation ou de nouveaux projets d’infrastructures.

Un retour du politique et des luttes locales
Depuis les années 2000, de nombreuses villes re-municipalisent leur gestion de l’eau (Paris, Buenos Aires), tandis que des mouvements citoyens s’opposent aux projets industriels liés à l’eau. Parallèlement, les États émergents comme la Chine ou l’Inde renforcent leur contrôle sur les grands aménagements hydrauliques.